Approche directe des dirigeants : crédibilité, aisance, finesse et expertise
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Plus d’une année après, dans un environnement de crise de l’immobilier, Laurent Derote et Sophie Vatté réactualisent leurs propos concernant l’approche directe des directeurs généraux.
Savoir naviguer dans des environnements complexes, incertains et stressants, en gardant la maîtrise de soi, en fédérant les équipes et en s’adaptant à l’hybridation des modes de management, être en mesure d’impacter positivement les évènements, rapidement et sur le long terme, sur les sujets touchant prioritairement à la stratégie, au mix produit ou de marque, au développement, la restructuration, la gestion de crise, développer une vision prospective et la capacité à réinventer le futur dans des environnements en profonde mutation, enfin, prendre des décisions difficiles au bon moment pour éviter d’être « squeezé » par la suite dans des injonctions contradictoires, sont les soft-skills particulièrement recherchées chez les directeurs généraux.
L’approche du dirigeant nécessite adresse relationnelle et crédibilité. De façon générale, il est particulièrement sélectif. Quoi d’étonnant, il n’a pas de temps à perdre et serait sollicité au-delà de ses disponibilités s’il ouvrait grandes les portes. L’approche doit donc être réalisée par un consultant bénéficiant d’une forte notoriété associée à une excellente image, correspondant à la position du dirigeant, ou à un « principal » (chargé de recherche expérimenté, habitué des chasse « Executive ») qui se recommande du consultant ou de la marque de sa société de chasse – soit un généraliste international des « SHREK » (Spencer – Stuart, Heidrick & Struggle, Russel – Reynolds, Egon – Zehnder, Korn – Ferry, ou assimilés), soit un spécialiste sectoriel reconnu, ceci après avoir passé le cap du « scénario – légende » qui aura permis de joindre directement le dirigeant. Il peut aussi s’agir d’une relation personnelle, qu’il a eu comme chasseur pour trouver ses collaborateurs membres du comité exécutif ou du comité de direction, ayant un niveau de connaissance de son marché et de fiabilité mettant le dirigeant à l’abri de l’échec vis-à-vis de son Conseil d’Administration ou de son Président, devenu son conseil personnel en organisation RH, et aussi parfois, consciemment ou inconsciemment, le « chasseur » susceptible de le repositionner ou cas où il le souhaiterait ou s’il était en difficulté.
Sélectif, le dirigeant n’est pas hautain pour autant, en tout cas pas plus que d’autres catégories de cadres. Une fois que l’accroche téléphonique a eu lieu, après s’être assuré que le dirigeant est disponible et qu’il peut échanger en toute discrétion, si elle a été adroite, si le chasseur – consultant ou principal – a su surprendre positivement son interlocuteur par son aisance relationnelle, une note d’humour bien placée, de la vivacité d’esprit, un art consommé de la réplique…tout en sachant s’arrêter à temps, pour passer aux choses sérieuses avec un bon esprit de synthèse, le dirigeant se montre le plus souvent ouvert à l’échange. Il n’est bien sûr pas question de lire une définition de fonction mais il convient d’évoquer avec fluidité les caractéristiques de l’entreprise cliente sans la nommer même si le recrutement n’est pas confidentiel et que les informations communiquées la désignent presque à coup sûr. Tout ce qui se dit lors de l’approche est par nature confidentiel et il est donc nécessaire de le témoigner et d’ailleurs souhaitable que les commentaires laissent place au doute entre deux et trois structures tant que c’est possible, la démarche étant d’éveiller la curiosité et l’envie d’en savoir plus. Le chasseur peut alors passer au registre du bon mot et de l’humour afin de raviver le courant de sympathie et d’aboutir en fin de compte à une prise de rendez-vous avec le consultant, en proposant un lieu neutre – rencontre dans un club d’affaires, restaurant ou salon d’hôtel 5* par exemple, en petit-déjeuner, apéritif en soirée, déjeuner ou simplement entretien dans la journée, selon les réactions pressenties au téléphone. Pour ce niveau d’interlocuteur, impossible la plupart du temps, de retourner l’échange vers le dirigeant après lui avoir vendu l’opportunité afin de lui demander d’évoquer son cursus. L’appelant est censé le connaître avant de le joindre et il aura pris soin de prendre toute information utile sur le site de l’entreprise, les articles de presse spécialisée et économique, les informations recueillies dans le milieu professionnel, le site LinkedIn, tout en gardant sa place – il n’est pas l’homologue de son « chassé ». Le tout doit être suffisamment long pour « imprimer », créer le courant de sympathie, piquer la curiosité, intéresser, étonner, convaincre de l’intérêt de l’entretien et l’obtenir, mais suffisamment synthétique pour rester bref. Personne ne passe vingt minutes au téléphone pour chasser un dirigeant. Et surtout, il doit s’agir d’une approche parfaitement « ciblée ». Pas question d’évoquer une opportunité qui soit sans rapport, ou pire, deux niveaux en dessous de la position du dirigeant approché ; cela ramènerait inévitablement le chasseur au rang de maladroit novice ou incompétent, exception faite de projets entrepreneuriaux à fort potentiel et participation au capital, ce qui suppose là encore que le chasseur ait pressenti le caractère entrepreneurial plutôt qu’institutionnel, ou l’envie de rupture, d’aventure du « chassé » à ce stade de sa carrière.
Quant à l’entretien avec le consultant il est important que ce dernier soit immédiatement perçu dès les premières minutes comme « à la hauteur » par son interlocuteur, sur la forme et sur le fond – à la hauteur et crédible dans sa position de conseil et d’intermédiation de dirigeants, sans chercher là encore à être un homologue. La courtoisie mais le naturel, l’adaptation rapide à la personnalité de son interlocuteur, la personnalisation du contact, sont de mises. Il s’agit ensuite de lancer la discussion, éventuellement en surprenant le dirigeant mais sans se tromper, en abordant par exemple une récente opération de croissance externe, une acquisition immobilière d’importance, sous réserve de ne pas tomber dans la banalité, d’en savoir plus que ce qu’en disent les supports spécialisés ou économiques tout en restant à sa place. C’est évidemment l’occasion pour le consultant de lancer son interlocuteur sur son activité, remontant ensuite dans le passé. Plus classiquement, la conversation partira sur l’opportunité elle-même, en nommant l’entreprise concernée – après signature d’une lettre de confidentialité si nécessaire – son historique, sa culture, son actionnariat, sa gouvernance, son organisation, l’évolution de son activité et ses chiffres clés, sa stratégie et son éventuel tournant stratégique, ses encours, la projection de l’entreprise à 3 / 5 / 10 ans, le contexte du recrutement, les responsabilités du poste, le profil et la psychologie des managers qui seraient sous sa responsabilité, ce que recherche la gouvernance, les raisons pour lesquelles le consultant a pensé à l’intéressé si elles ne sont pas évidentes, les priorités à l’arrivée….Et bien sûr le package rémunération – mieux vaut, généralement, attendre la question pour aborder ce sujet. Après cet échange sur l’entreprise, le projet, l’environnement, les questions posées, intervient assez naturellement le retour sur l’intéressé par le biais de la question : « cela semble bien correspondre à votre expérience, qu’en pensez-vous ? » …Puis l’achèvement de l’entretien, qui doit déboucher s’il est positif de part et d’autre sur une « confirmation d’intérêt » – jamais « de candidature », terme proscrit à ce stade voire toujours pour ce niveau de poste – certains n’ont jamais été « candidats » avant d’être engagés. La plupart du temps l’étape suivante, en cas d’accord, est la rencontre avec le Président, ou le représentant du Conseil de l’entreprise qui recrute, organisée par le consultant, avec ou sans sa participation, là encore dans un lieu neutre. Le « pré-dossier » rédigé par le consultant sera donc bref, comprendra ses commentaires avec son engagement – il doit « se mouiller » – le cursus du dirigeant, son CV s’il l’a fourni sans que le consultant l’ait formellement demandé, sa fiche LinkedIn si elle existe. Après l’entretien, dans bon nombre de cas, il sera plus aisé pour le consultant, si l’intérêt est confirmé, de demander des éléments complémentaires, argumentaires, questionnaire projectif de personnalité, indication de références professionnelles, afin de constituer un dossier plus approfondi. De son côté, le Président de l’entreprise qui recrute ou le Conseil demandera le plus souvent au dirigeant devenu candidat, que le terme ait été prononcé ou non, une approche de business-plan à cinq ans en lui communiquant les éléments nécessaires après signature d’une lettre de confidentialité – réciproque bien entendu.
Le dirigeant se prêtera d’autant plus au jeu à ce stade qu’il est en confiance à tous les points de vue, qu’il effectue lui-même ces demandes pour ses propres besoins de managers, qu’il les a déjà connues par le passé et qu’il en reconnaît l’utilité. Débriefer ensuite les résultats du questionnaire projectif permet de renforcer le lien entre l’approché et le consultant, lequel intervient quasiment toujours dans la négociation finale des conditions de rémunération intégrant la part fixe, la part variable sur objectif souvent garantie en tout ou partie la première année, voire les deux premières années, la participation dans les SCCV s’il s’agit d’un promoteur, la participation au capital de la société ou de la filiale créée pour lui, la distribution d’AGA (Attribution Gratuites d’Actions) désormais préférées aux stock-options, les « carried interests » en gestion d’actifs ou de fonds, les avantages en nature et les rémunérations non monétaires – article 83 / épargne retraite, les garanties mandataires sociaux – RC et GSC ou le contrat « technique » de travail accompagnant le mandat social ….S’y ajoutent souvent un « hello » ou prime d’arrivée compensant la perte de revenu du fait du départ et un « golden parachute » en cas de révocation ou licenciement. Enfin, dans le cas d’ETI, le « package rémunération » passe parfois par des montages intégrant une société personnelle facturant des honoraires.
Ainsi l’approche directe d’un dirigeant ne peut être réalisée que par un consultant ou un tandem consultant – principal expérimenté, crédible vis-à-vis des « cibles », d’une culture économique et d’entreprise éclectique et de haut niveau, capable d’un niveau d’échange à parité avec le dirigeant approché, d’une excellente aisance relationnelle, d’une grande écoute, d’une forte empathie et d’un professionnalisme reconnu ; enfin, bien sûr, capable d’appréhender l’adéquation d’une personne dans toutes ses dimensions avec l’entreprise qui recrute, sa gouvernance, sa culture….Avec elle mais parfois aussi en la surprenant par un changement de cap voire « en lui tordant le bras » pour la faire évoluer vers de nouveaux horizons dans un contexte de profonde mutation…
Sophie Vatté et Laurent Derote